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13 novembre 2008 4 13 /11 /novembre /2008 00:00
Plus de 500 km aller-retour, pour savoir si l'opération envisagée peut se faire.

C'est papa qui m'emmène, il n'est pas d'accord avec l'allongement que je souhaite des tibia-péroné : ajouter à la jambe droite atrophiée et trop courte les 7cm qui lui manquent.

 En tant qu'ingénieur mécanicien il m'explique longuement le problème qui est d'allonger un bras de levier et donc, de le fragiliser et de jouer sur les "rotules à chaque bout. En l'occurrence : genou et cheville.

Je ne vois que l'intérêt de pouvoir mettre des chaussures sans cette horrible semelle compensée.

Je veux le plus possible ressembler à toutes les filles de mon âge...

La journée commence mal, Chocolat, la petite chienne, se fait écraser par un poids lourd, juste devant la maison de mes parents. Le chauffeur est en larmes. Ce n'est pas de sa faute, la chienne, très jeune, a traversé devant lui comme une flèche, me suivant alors que j'allai monter en voiture.

Triste départ.

Cette fin d'automne 65, est grise, froide. Triste, elle aussi.

Nous pique-niquons dans la voiture et arrivons à Berck à l'heure pour le rendez-vous.

Le Docteur Lescoeur me suivait depuis mon exeat de Lamalou-les-Bains.

Un homme extraordinaire, avec un coeur grand comme ça, une humanité que je n'ai guère rencontrée après.
Il nous avait recommandé son collègue de Berck, à la Fondation franco-américaine .

Le bâtiment est laid, en briques.

Mesures, radios, photos ; c'est décidé, je peux me faire opérer.

La date d'hospitalisation est fixée, quelques semaines plus tard.

Le retour se fait sous des averses de neige mouillée, une voiture nous fonce dessus, le conducteur a perdu le contrôle.
Papa, excellent pilote, évite la catastrophe en faisant grimper l'auto de biais sur le talus assez haut, il est couché sur le volant et me tient fort avec son bras droit pour que je n'aille pas m'écraser sur ce volant...
Il a bien calculé sa manoeuvre, la voiture, une R16, retombe sur ses quatre roues.

Ouf ! Papa est tout blanc, il sort et va vers l'autre voiture dont le conducteur a réussi à stopper, il veut savoir s'il n'a rien ; tout va bien pour lui aussi.

Il revient, entre temps j'ai vomi, cela va mieux.

Nous repartons doucement, mon père se met à fredonner, petit à petit je chantonne avec lui.

On s'est arrêté un bon moment plus tard, papa m'a prise dans ses bras.
Nous avons pleuré et ri en même temps avant de poursuivre notre chemin.

Que de signaux au long de cette journée mémorable, j'étais jeune.

Est-ce que cela excuse tout ?
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12 novembre 2008 3 12 /11 /novembre /2008 00:00
Je fus hospitalisée à la Fondation Franco-Américaine début 1966.

Les jours passaient et j'attendais d'être opérée...

J'appris, par mes collègues de dortoir, plusieurs dizaines, que tant que je n'avais pas certaines "bonnes habitudes" je ne le serais pas.

Première bonne habitude : ne pas tomber en dormant de la gouttière qui servait de lit, donc dormir à plat dos, sans bouger d'un pouce.
80 cm au-dessus du sol pour faciliter le travail du personnel.
70 cm de large, pour que l'été, lorsque plein de filles venaient en cure (,,,) et que l'on nous sucrait nos tables de nuit (et de jour), pour permettre aux dames, qui nous faisaient notre toilette, de passer leurs fesses par-dessus la gouttière voisine, car, durant cette période, on multipliait presque par deux, le nombre de pensionnaires de ce dortoir déjà surchargé.

Des harengs en caque.

Deuxième bonne habitude : faire "ses" besoins à heures fixes : 7 h, 13 h, 19 h.

Hors de question d'avoir besoin du bassin en dehors de cet horaire.

J'en suis encore stupéfaite, mais ça fonctionnait.

Il me fallut longtemps pour ne plus tomber de la gouttière et ne plus avoir envie de faire pipi à des heures indues.

Autre problème pour moi, le personnel parlait chtimi.

Le matin, vers 6h30, passait le chariot du petit-déjeuner. Je ne comprenais rien à ce que l'on me disait et me retrouvais systématiquement avec un bol de café noir, sans sucre et deux malheureuses biscottes, cassées la plupart du temps.

Dire que pour moi, le petit-déjeuner a toujours été le meilleur repas de la journée.

Un matin, enfin, j'eus une idée, sur une feuille de papier à lettres, j'avais écrit : moitié café, moitié lait, deux sucres et trois tartines avec du beurre ET de la confiture.

J'eus le beurre...
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11 novembre 2008 2 11 /11 /novembre /2008 00:00
J'ai tellement attendu cette opération, que le jour où l'on m'embarque côté bloc, je suis ravie.

Complètement inconsciente de ce qui m'attend...

Je suis installée dans une chambrette, seule.
Rien que ça, ce premier soir, me fait sourire de plaisir.
Plus de bruits permanents, nuits comprises.

Je ne dîne pas, à jeun, mais ça n'est pas important.

Moins drôle : un lavement intestinal, mais je sais que c'est le protocole normal.
Un peu gênant, mais l'infirmière qui pratique est gentille et pleine d'humour, ma gêne passe, c'est le cas de le dire.

Je suis un peu euphorique, comme à la veille d'une grande surprise ou d'un départ imprévu...

Prémédiquée de bonne heure, je suis embarquée vers la salle d'opération, tôt, ce matin de janvier...

Hurlements, mais qui hurle ainsi ?

L'espace d'une seconde, je réalise que c'est moi qui crie d'une voix éraillée, cela doit faire un moment que je m'égosille entre deux semi-évanouissements.

Ma gouttière est tellement inclinée que j'ai la tête au ras du sol, me semble-t-il, et mes pieds, très loin, tout là-haut.

Je suis attachée sévèrement, mes mains liées au bord de la gouttière.

Je vais devenir folle, là, maintenant, tout de suite.

C'est absolument impossible de vivre une minute de plus, tellement la douleur est brutale, violente ; elle est partout, dans les moindres recoins, elle irradie glorieusement.

Elle est maître à bord de mon corps.

Entre deux vomissements, je peux voir ma jambe traversée par quatre broches assez grosses et très longues.

Celles-ci sont fixées dans un cadre métallique, lui même accroché par des cordelettes et des poulies à une énorme structure métallique entourant la gouttière. 
Cela ressemble à un échafaudage.

Là où les broches passent, les trous suintent, le sang finit par dégouliner le long de ma jambe, par en dessous, j'ai envie d'arracher tout ça, de me gratter là où les gouttes rouges circulent.

Je hurle, je vomis, je veux mourir, vite, vite.

Pendant deux mois, le chirurgien-tortionnaire viendra matin et soir, y compris le samedi et le dimanche, tourner les écrous dans lesquels passent les broches pour écarter les extrémités tibia-péroné (qu'il a sciés) l'une de l'autre, pour que l'allongement se fasse.

Trois semaines après le début de cette horreur, mes parents sont venus me voir.
J'ai vu à leurs regards qu'ils étaient surpris.

J'appris plus tard qu'on leur avait demandé de ne pas venir trop tôt, que ce serait trop dur pour eux comme pour moi, car j'étais défigurée par la douleur.

De fait, mon père était venu en catimini, avant, mais ne s'était pas laissé voir, il était reparti, tout retourné.

Sans doute est-ce incompréhensible, à notre époque, ce comportement.

Ils revinrent très régulièrement ensuite, m'emmenant mon chat une fois, contre vents et marées papa le passa, caché dans son pardessus.

Je sais bien que si je les avais vus plus tôt, cela n'aurait fait qu'empirer ma situation.

Deux mois pour "gagner" sept centimètres.

La peau s'était déchirée, pas assez extensible pour subir ce traitement, huit trous suivis d'une déchirure.

Le dernier tour d'écrou fait, je piquai littéralement une crise de nerfs, le chirurgien me maintint serrer contre lui jusqu'à ce que je me calme et m'endorme.

Je n'avais plus que la peau sur les os.

Le seul antalgique auquel j'eus droit pendant ces deux mois et, encore pas tous les jours, fut...
Une tasse de tisane : "calmiflorine".

Mon calvaire n'était pas fini, seul, pouvais-je espérer, le pire était passé.



 

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10 novembre 2008 1 10 /11 /novembre /2008 00:00
C'est incroyable : je me sens bien en étant coincée sur une gouttière, la jambe pliée à 90° au-dessus du matelas, une galette de 5 cm d'épaisseur posée sur un plancher, toujours traversée par quatre broches accrochées à une grosse structure.

Il faut maintenant attendre la calcification de cet espace de 7cm entre les 2 morceaux de tibia-péroné...

On me laisse dans la minuscule chambre où je deviens petit à petit claustrophobe.
La seule vue vers l'extérieur est un soupirail en haut d'un mur qui donne sur le bâtiment voisin, très proche.

Pas un tableau, rien pour distraire le regard.

Je finis par ne voir que ce mur, par rêver de ce mur, par haïr ce mur.
Il m'arrive de suffoquer en le regardant.

Tous les matins, on me fait ma toilette.
Moins inclinée qu'au début, ma position me complique encore les gestes simples comme me laver, manger...

Et tous les matins, soeur Favrou : chef de sévices du dortoir d'où je viens, n'ayant rien à faire normalement dans le périmètre du bloc, vient assister à cette toilette.

Cela me met dans une rage froide.

Une des veilleuses, vraiment plus compatissante que l'ensemble du personnel, accepta de téléphoner à mon père pour lui lire un message de ma part.

Ce qu'elle fit.

Peu de jours après Papa apparut au moment où cette religieuse entrait dans ma chambre. Il lui asséna ce qu'il pensait de son comportement et par la même occasion lui interdit formellement d'ouvrir mon courrier avant de me le remettre.

J'ai souvent eu affaire à des religieuses cruelles et pervers.
Comme toujours, il y en eut de merveilleuses, mais si rares, tellement rares.

La guerre souterraine entre soeur Favrou et moi était déclarée.
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9 novembre 2008 7 09 /11 /novembre /2008 00:00
Semaine après semaine, radios après radios, la sentence vient de tomber...

Aucun signe de calcification, pas le moindre petit morceau de repousse, annonçant que le vide va se combler.

Je vais subir une nouvelle opération : pose d'un greffon encadré de morceaux de ma crête iliaque gauche.

Je suis trop faible pour réagir fortement, je me contente de pleurer, le tonneau des Danaïdes.

Comment peut-on avoir encore tant de larmes après avoir tant pleuré ?

C'est un mystère.

Le chirurgien déboule dans ma cellule un matin et me montre le greffon : une chose toute blanche qui ressemble à de la pierre ponce en forme de T d'une longueur de 6 cm et épais de 3, me semble-t-il.

Avez-vous remarqué, que les "pontes" à l'hôpital déboulent toujours dans votre chambre. Ils n'arrivent jamais d'un pas tranquille, attendant qu'on les autorise à entrer. Ils foncent comme s'ils avaient le diable aux trousses ; ou bien ils rentrent, tournés vers le troupeau qui les suit, parlant du "CAS" qu'ils viennent de voir, comme si vous n'existiez pas.

Drôles de moeurs .

Je tiens donc dans mes mains cette chose que l'on va installer dans mon corps. elle est bien protégée, mais je peux la voir, elle est légère, poreuse.

Ça ne m'inspire aucun commentaire, je suis sur une autre planète...

Je réagis à peine lorsque mon tortionnaire me dit qu'il s'agit d'un os de poulain et que ce sera presque totalement une greffe hétérogène.

Il ajoute que je suis la première polio à en bénéficier.
 
Je pense : "Eh ! bien, cela me fait une belle jambe" et pars d'un fou rire inextinguible, mes larmes continuent de couler et je ris, je ris...

Je craque...

Quelques jours d'attente et nouveau départ pour le bloc, après une nuit à jeun, précédée du lavement traditionnel.

Je connais la routine.
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8 novembre 2008 6 08 /11 /novembre /2008 00:00
Réveil égal aux autres : nausées, gorge arrachée, douleurs...

Une particulière en bas du dos, j'appuie de tout mon poids sur l'endroit où a été prélevé un morceau de crête iliaque.

Je ne peux pas bouger pour soulager cet appui.

La nouvelle cicatrice sur la jambe me brûle.

Suis-je moins "douillette" ? C'est ce dont me traitait le chirurgien quand il venait visser les écrous...

J'ai l'impression de moins souffrir...

Je me rendors vite après ce presque éveil.

Je suis tellement épuisée que je dors près de 48 heures d'affilée.

C'est toujours ça de gagner sur le temps que je ne maîtrise absolument pas.

De fait, je viens de " m'inventer " une sauvegarde : à bout de forces, physiques ou morales, dorénavant, je plongerai dans un sommeil presque cataleptique.

De nouveau "présente", j'apprends par une jeune infirmière que j'ai failli tomber de la table d'opération.

Mon genou étant bloqué plié, quand il a fallu me retourner pour le prélèvement, le poids de ma jambe dans son carcan de métal m'a entraîné et on m'a rattrapée de justesse avec une coupure profonde sur la hanche.

Quelques points de suture supplémentaires, ils ne sont pas avares de catgut.

De nouveau il me faut attendre, faire preuve de patience, espérer que la greffe prenne.

Bizarrement, depuis quelques semaines mon pied me fait vraiment mal, j'arrive à soulager cette ixième douleur en le massant avec mon pied gauche.

Je demande qu'un kiné vienne me faire des massages, le médecin approuve après avoir constaté que mes orteils ont tendance à se recroqueviller.

Dans les semaines qui suivent, je verrai un kiné trois fois, puis plus du tout, malgré mes demandes réitérées.

Ce genre de petite misère n'est pas prise en compte à la Fondation Franco-américai
ne.
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7 novembre 2008 5 07 /11 /novembre /2008 00:00

Je quitte enfin la section "bloc opératoire", après 3,5 mois d'horreurs et d'attente.

Soeur Favrou, celle qui venait me voir pendant ma toilette, me fait mettre dans le coin de la salle, le seul d'où l'on ne peut pas voir le poste de télévision...

Basse vengeance de sa part, je m'en moque, je préfère tellement lire.
De plus, le poste est allumé le soir à 20 heures et éteint à 22 heures, que l'émission soit finie ou non, c'est pareil.

La stupidité est très courante, mais là, elle atteint des sommets...

Je reprends donc le rythme du dortoir.

Le matin, les filles vont suivre des cours (on transfère la gouttière sur chariot à grandes roues) à l'hôpital Maritime ou Charcot, je ne sais plus.

Celles qui restent sont intransportables pour diverses raisons.

Évidemment, avec la structure inspirée d’Eiffel qui encadre ma gouttière, je fais partie de celles-ci.

Le matin dès que petits-déjeuners et toilettes sont bâclés, on nous roule sur la terrasse, où nous resterons toute la journée, quels que soient le temps et la saison.

Nous n'avons pas intérêt à oublier de poser sur nous ce qui nous sera nécessaire pour la journée, car le personnel n'est pas "à nos ordres", et, sauf exceptions extrêmement rares, personne ne répond à nos appels.
De plus, sur la terrasse, comme dans le dortoir, pas de sonnette !

Quand il fait froid, nous claquons des dents en silence. Quand il fait chaud, nous transpirons en silence.

Un jour une infirmière du bloc passa sur la terrasse qui reliait deux services et me fit coucou en venant près de moi. Voyant ma jambe embrochée rouge d'un coup de soleil, elle fit demi-tour précipitamment et se fâcha, très en colère qu'aucune précaution n'ait été prise.

Peu de temps après, Soeur Favrou venait poser sur ma jambe un coussin fait avec des pansements américains, du coton cardé et de la taille convenant. Puis toutes les demi-heures, on venait pulvériser de l'eau sous le coussin...

Un jour nous vîmes arriver dans notre dortoir des extra-terrestres...
Des hommes en scaphandre et casque, sans attendre que nous soyons évacuées sur la terrasse, ils commencèrent à pulvériser sur les plinthes un produit anti-cafards...

Des centaines et des centaines de bestioles sortirent en courant partout avant de mourir.
C'était effrayant, dégoûtant... Je m'étais cachée sous mon drap.

Petit à petit nous gagnâmes notre terrasse, après avoir quelque peu inspiré des vapeurs certainement nocives, vu comment étaient protégés les dératiseurs.

Chaque soir, une infirmière nous distribuait les médicaments. Peu, et à peu d'entre nous. Les suppos à la glycérine marchaient bien, si je puis dire ! Étant allongées en permanence, nous avions des problèmes de transit importants.

Un soir, j'organisai un concours qui fit fureur jusqu'à ce qu'il soit découvert...

J'étais donc proche d'un mur " ripoliné ", après avoir mouillé le suppo, le jeter sur ce type de mur et ...
Il le descendait en culbutant ! Le premier arrivé en bas faisait gagner sa propriétaire.

Les filles " valides ", en fin ou début de séjour, ramassaient les "coureurs", on recommençait une ou deux fois et nous utilisions finalement le suppo, comme il se doit...

Une fois prises la main lançant le projectile... Toutes furent condamnées à l'huile de paraffine.

Quand le traitement basique ne suffisait pas, on nous faisait, de toute manière, ingurgiter de l'huile de paraffine, hauts le coeur et grimaces...

Je me plaignis, un moment donné, de ne pas être allée à la selle depuis une semaine. Les jours passaient, rien ne changeait. J'étais très mal, lorsque le chirurgien qui m'avait opérée passa dans la salle. Je hurlais son nom, il vint me voir et je lui dis ce qui m'arrivait, en pleurant, car je n'en pouvais plus de ce ventre de pierre.

Dès le lendemain, retour au bloc, anesthésie générale.
On peut imaginer qu'on me fit un lavement de grande envergure, je ne l'ai pas su.

J'avais frôlé de près une péritonite.

Après, j'eus une bouteille d'eau à boire chaque jour et une surveillance sérieuse du fonctionnement intestinal.

C'est trivial mais dans ces circonstances cela prend une importance immense.
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6 novembre 2008 4 06 /11 /novembre /2008 00:00
Cela fait deux semaines que je suis plâtrée, assez haut pour que je ne puisse pas plier la jambe.

C'est un inconvénient mineur.

Une douleur, depuis trois ou quatre jours, me taraude.

Elle remonte le long du plâtre, donc de ma jambe et me vrille les tripes.

La réponse de Soeur Favrou lorsque je lui dis : "c'est normal, ton genou bloqué n'aime pas cette contrainte."

Je sais bien que ce n'est pas ça, je ne sais pas ce que c'est, mais ce n'est pas ça.

De jour en jour, ça empire, je ne dors plus, je ne sais plus comment me mettre.

C'est insupportable, j'ai un volcan là-dessous.

"Douillette" n'arrête pas de me seriner la religieuse.

Si elle ne veut pas remonter ma plainte au médecin, je ne peux que "déguster" en silence.

La chance me sourit enfin : le médecin que je ne vois jamais en dehors des interventions sur ma jambe, passe à nouveau en coup de vent dans le dortoir, je n'ai même pas le temps de l'appeler...

Je demande à une "debout" de guetter son retour, il est obligé de repasser par là.

Ouf ! La fille à qui j'ai demandé de faire le guet interpelle le chirurgien à son retour.

Il vient me voir, me dit que j'ai une sale tête, je lui explique.

Visiblement il comprend tout de suite ce que personne n'a voulu voir.
Il se baisse et "sent" mes orteils qui dépassent du plâtre.

Branle-bas de combat. Je me retrouve embarquée au bloc.

Sans attendre, il sort la scie à plâtre, celle qui vibre. Des infirmières arrivent en courant.

Le plâtre ouvert, une sale odeur se répand ...

Il ne crie pas, il gueule : " allez chercher Favrou ".

Je ne l'ai jamais vu aussi furieux .

Favrou arrive, froufroutante dans ses longues jupes et jupons...

Elle se prend un savon où les mots incompétence, cruauté, inconscience dégringolent sur elle qui se ratatine au fur et à mesure de l'engueulade.

Je ne le vois pas, mais comprends : mon talon est rongé jusqu'au calcanéum par une escarre large et profonde.

J'ai envie de vomir, on me tend un haricot et ça part, peu de choses dans l'estomac, je continue à vouloir vomir.

Ça fait un mal de chien.

Soins, pansements, mon plâtre est remis et sanglé pour pouvoir, tous les jours, changer le pansement.

Une série de piqures très douloureuses est ordonnée.

J'en ai marre, à un point que je ne peux expliquer.

Quand est-ce que cela va cesser ?

Je n'en peux plus, je veux mourir.

J'entame une grève de la faim.
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5 novembre 2008 3 05 /11 /novembre /2008 00:00
La routine, les jours se suivent et se ressemblent.

Je me suis réfugiée 3 fois dans ce sommeil bizarre, qui m'isole de l'environnement.
Ça arrive toujours dans les moments où je n'en peux plus d'attendre, où je vais craquer.

Mes parents m'ont apporté un tourne-disque et obtenu que l'on m'isole dans une petite pièce. 
Elle ne sert qu'à la visite médicale trimestrielle, quand elle n'est pas supprimée, sans que l'on sache pourquoi...

J'écoute l'intégrale de Carmen, avec Maria Callas dans le rôle-titre pendant des jours entiers, des valses dirigées par Karajan, du Jazz News Orléans, Mozart, Mozart, Mozart... Pour qui j'ai une passion, Beethoven, etc.

Mon père est passé par mon chirurgien pour obtenir cette dérogation, puisque je ne peux pas suivre une scolarité dehors...

Bien évidemment, Soeur Favrou a commencé par essayer de me mettre des bâtons dans les roues.
Curieusement, elle vint de temps à autre écouter avec moi cette musique avec laquelle je m'évadais de ce lieu immonde.

Dans ces moments de partage, elle était tout autre, ce n'était plus la même personne, montrant même une culture étendue.

Dès mon retour dans le troupeau, elle reprenait sa casquette d'adjudant...

À un autre moment, elle nous montra une facette inconnue. Nous étions, un dimanche, un petit groupe de 5 ou 6 filles regroupé dans un coin de la terrasse, elle vint s'asseoir au milieu de nos gouttières, "normalement " avec nous.

C'était inattendu, irréel.

Je lui demandai, à un moment de pose, comment elle était devenue religieuse, pourquoi ?

Je pensais qu'elle allait refuser de répondre à cette question d'ordre privé. Mais non, elle nous raconta...

Un fiancé mort à la guerre... Une grande souffrance affective... Plus vraiment envie de continuer sans lui...
Issue d'une famille très croyante, poussée par ses parents, elle rentra dans les ordres.

Pas vraiment une vocation donc, ce qui, peut-être, pouvait expliquer son comportement.
La frustration peut rendre très méchante.

Sincèrement, dans mon fort intérieur, je la plaignis, mais ne l'excusai pas.
Nous n'étions pas responsables de sa vie ratée, elle n'avait pas à se venger sur nous.

Deux autres religieuses travaillaient dans ce service, deux espagnoles. L'une, très âgée, toute ridée, l'autre, très jeune, un visage de madone. Les deux, adorables, ne sachant que faire pour nous soulager de nos misères.

Un détail trivial : avoir ses règles, quand on est couchée sans pouvoir se débrouiller seule, devient vite un problème lourd à gérer.

Mes culottes s'ouvraient sur le côté droit par pression ou ruban, une idée géniale de ma mère qui me les avait arrangées.

Entre les soeurs espagnoles, une veilleuse vraiment pas comme les autres et une femme de salle compréhensive, j'arrivai dans l'ensemble, pendant ces périodes à être à peu près "confortable" à ne pas sentir mauvais...

Elles m'emmenaient aux sanitaires pour faire le nécessaire.
Le plus en cachette possible, à des moments où elles savaient le dragon absente.

Comment des humains pouvaient-ils être aussi cruels ?
Que leur avions-nous fait ?
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4 novembre 2008 2 04 /11 /novembre /2008 00:00
Enfin pas tout à fait, mais je vois le bout du tunnel, encore quelques mois quand même.

Un matin des infirmières du bloc viennent me chercher...

Le temps de faire le chemin à travers les couloirs sordides, je m'imagine toutes les catastrophes possibles.

Mais, bon signe, on me fait rouler dans une salle qui n'est pas opératoire. C'est une salle de plâtrage.

Comme on ne me dit rien, j'attends. C'est ce qu'on fait le plus à l'hôpital : attendre.

On revient me chercher, direction la radio.

Plusieurs sont faites, on ne m'informe pas de ce qui va se passer.

Retour à la salle de plâtrage.

Attente, attente, je regrette de n'avoir pas pris un livre.
L'heure du repas est passée, pas de plateau.

Bon, c'est tellement toujours pareil que je peux bien sauter un repas !

Je ne suis pas mince, je suis maigre, comme la majorité de mes compagnes qui sont là depuis des années, pour certaines d'entre elles.

La porte s'ouvre à nouveau et c'est mon chirurgien qui entre, enlevant son costume de salle d'op.
Il est suivi de quelques internes, et de deux infirmières.

Ces gens-là ne savent pas marcher tout seuls.
C'est peut-être génétique.

"Bonjour vieille branche" me dit-il ; il pense me faire plaisir à m'appeler ainsi ?

Avant même de réfléchir, je lui réponds : "salut vieux tronc"...
Un silence passe sur nos têtes, je pourrais me recevoir une claque pour irrespect, mais non, il rit et passe à autre chose.

J'ai appris, plus tard, qu'il était père d'une très nombreuse famille, alors une sortie comme celle-là ne l'émeut pas outre mesure.

Une scie électrique fait son apparition, je ne suis vraiment pas rassurée et j'ose enfin demander de quoi il retourne.

La calcification du poulain est en route et pourra se poursuivre sous plâtre, il faut que je garde les broches, car le cal est tout mou.

D'où la scie, pour couper les broches trop longues.

Un interne prépare les bandes plâtrées et le médecin entortille ma jambe de jersey, puis de bandes froides et mouillées.

Ce n'est jamais agréable un plâtre neuf, mais après ce que j'ai subi, on pourrait bien m'en faire un tous les jours !

Après quelques minutes d'attente, la scie s'approche.

Le bruit est infernal, mais très vite, elle coupe les huit morceaux à trois ou quatre centimètres du plâtre.

Je transpire, je tremble, finalement je pleure.

Une des infirmières trouve intéressant de dire: "c'est les nerfs qui lâchent".

Si mon regard pouvait l'accrocher au plafond, elle y serait....

Des bouchons de liège appliqués sur chaque extrémité de métal et voilà, une étape de franchie.

J'ai beau demander, à combien de temps il estime que la calcification sera suffisamment solide, pour que je quitte Berck et rejoigne Saint-Cloud où je ferai ma rééducation, pas de réponse.

Il se lave les mains après avoir enlevé ses gants et vlouf ! Le voilà parti suivi de ses ombres.

Cela me fait tout drôle quand on enlève toute l'armature autour de ma gouttière, je me sens fragilisée sans mon armure, toute petite.

Ma jambe repose sur le drap, elle pèse très lourd, vraiment très lourd.

De retour au dortoir, aucun repas ne m'attend, épuisée d'émotions, je m'endors.

Mon poulain se nourrira de mes rêves.
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